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Grossesse en milieu scolaire : phénomène qui grippe lentement l’avenir des adolescents

par Redaction

Ce fléau n’est peut être pas nouveau certes, mais il prend des allures qui fâchent et qui augurent des lendemains brumeux pour nos progénitures. Les grossesses en milieu scolaire gagnent du terrain dans les zones sud, centre, nord, est comme ouest de la Côte d’Ivoire.

Une lettre sous plis fermé, avec la mention «A bientôt». C’est la surprise que réserva Maïmouna Sawadogo, élève en classe de quatrième, dans un collège de la commune de Yopougon, à sa famille biologique. Déshonorée, selon la famille, à cause d’une grossesse que leur fille portait, la famille Sawadogo a difficilement avalé cette pilule. Et, avec les considérations religieuses et traditionnelles, le père considéra Maïmouna désormais comme une fille « sale, une paria », celle qui n’est pas digne de porter le patronyme de Sawadogo. Maïmouna a quitté la maison familiale à cause des injures, des rires étouffés et des moqueries. Elle avait tenté une première fois une fugue qui s’est soldée par un échec. Mais cette fois, la fuite a eu raison des frustrations non seulement à la maison, mais aussi à l’école. C’est difficilement que la mère donne les raisons de son départ.

Maï, comme l’appelle affectueusement ses camarades, ne voulait plus être l’objet d’injures et aussi de frustrations, elle a donc fui la maison sans même prendre attache avec des structures d’assistance sociales (Aibef…), qui auraient pu l’aider.

Mais, contrairement à Maï, d’autres élèves acceptent la situation de jeune fille enceinte ou mère précoce et continuent les cours jusqu’à ce qu’elles partent en « congé » de maternité.

4471 cas de grossesse en milieu scolaire répertoriés en 2016-2017

Selon le ministère de l’Education nationale et de l’Enseignement technique (Menet), en 2016-2017 le nombre de grossesses est passé à 4471 cas de grossesse. Même s’il y a eu une réduction de 1521 cas par rapport à l’année 2015-2016 et moins de 605 cas en 2013, le fléau est persistant.

Le gouvernement avait annoncé, lors d’un Conseil des ministres en 2014, la mise en place d’un plan d’accélération de la réduction des grossesses en milieu scolaire afin de lutter plus effacement contre ce fléau qui gangrène scolarisation: « Les statistiques sont alarmants. Pour la seule année de 2013, il a été répertorié 5076 cas de grossesse en milieu scolaire dont plus de 1000 dans le primaire », avait déploré le porte-parole du gouvernement, Bruno Koné.

Ainsi, selon les mêmes statistiques, note-t-on 1153 grossesses des filles âgées de 9 à 14 ans, 2393 cas de 15 à 18 ans, et 920 chez les 19 ans et plus. « Je vivais un peu éloigné de mon établissement scolaire. Compte tenu de la distance, il ya eu un chauffeur de taxi qui a fait ma connaissance et me conduisait gratuitement au Lycée d’Abengourou. Je couchais avec lui et il m’a engrossé», nous raconte Yolande Tanoh, élève en classe de première dans ledit lycée. De sources proches de la santé scolaire et universitaire d’Abengourou, 120 cas de grossesses avaient été relevés en 2013 et 70% des auteurs de ces grossesses étaient des chauffeurs de taxi de la ville. Puis venaient les élèves (20%), les fonctionnaires et enseignants, respectivement 16% et 4%. A l’instar d’Abengourou, la grossesse en milieu scolaire a pris une proportion inquiétante dans toutes les villes de la Cote d’Ivoire.

Dans le département de Divo, 35 cas de grossesses avaient été comptabilisés en début d’année 2013, c’est-à-dire au premier trimestre de l’année. « Mes services ont enregistré au premier trimestre officiellement 35 cas de grossesses dans les lycées et collèges de Divo. Au niveau des infections sexuellement transmissibles 55 filles et 3 garçons ont été dépistés », avait révélé Ncho Justin, médecin chef du service de santé et universitaire de Divo. Les chiffres sont alarmants et le constat est clair : La dépravation des mœurs a pris une proportion très inquiétante.

A Bondoukou, la ville aux milles mosquées, n’échappe pas à ce fléau. Là-bas, même si le taux a régressé en 2016 (139 cas), il était à 292 en 2013. Peut-être que l’avertissement de la ministre de l’Education nationale et de l’Enseignement technique, Kandia Kamara a eu un écho favorable. Elle déclarait lors d’une visite dans cette zone : « Il est temps que chacun s’engage avec détermination à traduire en acte concret son refus de cautionner les grossesses en milieu scolaire ».

Ce qui est désolant encore, la tranche d’âge la plus affectée par les grossesses précoces est entre 8 et 15 ans. Sophie Kouadio aujourd’hui adulte nous raconte sa mésaventure de la classe de 5e : « A l’époque J’étais chez ma tante qui me faisait vendre des œufs les week-end dans les maquis de Yopougon. Il y a un tonton »qui m’a dit de lui envoyer une plaquette d’œufs à son domicile pour qu’il l’achète. Le lendemain j’y suis allée. J’ai accepté sans violence ses avances et j’ai finalement pris une grossesse. Je l’ai su deux mois après, mais le « tonton » avait disparu du quartier. Fâchée, ma tante m’a ramenée chez mes parents. Mais j’ai réussi à supporter la grossesse et obtenir une bonne moyenne pour aller en classe supérieure, grâce au soutien de ma mère. Aujourd’hui commerciale dans une agence de communication et mère d’un garçon qui a maintenant 10 ans, Sophie Kouadio martèle : « Il faut que mes sœurs fassent beaucoup attention pour ne pas tomber dans ce jeu de certains hommes qui n’ont aucune pitié ».

Selon Dr Yves Stéphane Ipou, enseignant chercheur à l’Université Félix Houphouët Boigny de Cocody, les auteurs de ces actes sont issus de tous les milieux à « commencer par ceux qui sont proches des jeunes filles scolarisées», dit-il.

« Les victimes sont d’autant nombreuses que leurs histoires varient d’un élève à l’autre ».

Le phénomène ne doit ahurir personne, au regard des vidéos pornographiques diffusées sur des réseaux sociaux qui montrent des jeunes élèves en plein ébat dans une salle de classe dans la ville Grand-Bassam. C’est devenu plus qu’une banalité quotidienne et même certains enfants ne s’en privent pas. «J’ai été surprise de rencontrer un enfant à peine e de 10 ans dans un cyber en train de regarder une vidéo X sur son écran. C’est lorsqu’il a penché son visuel que je me suis rendu compte qu’il y avait quelque chose d’anormal sur son ordinateur. Et j’ai brusquement sursauté pour voir ce qu’il faisait, j’ai été abasourdie par cet acte, j’ai exigé au propriétaire du cyber de le chasser », nous raconte E .S, doctorante en Lettres. Alors pourquoi s’étonner que les jeunes élèves engrossent leur camarade ? s’interroge-t-elle.

Parler de grossesses en milieu scolaire en énumérant des cas palpables, on n’en finira pas, les victimes sont d’autant nombreuses que leurs histoires varient d’un élève à l’autre.

Mais, certains spécialistes de l’éducation proposent des solutions pour panser progressivement la plaie. « Il faut débattre avec les élèves sans faux fuyant. Inscrire des cours sur la santé sexuelle et de reproduction dans des programmes scolaires, mais surtout penser, dans les meilleur délais, à construire des foyers d’hébergement sur le modèle des anciens internats », a signifié Oumou Dosso, enseignante en Philosophie, journaliste. Pour elle, cette démarche est utile d’autant plus que « La pornographie n’est plus un phénomène marginal. Elle fait bien partie du quotidien des jeunes qui y voient la promotion d’une vie sexuelle affranchie de tout tabou, multiforme et active. Nos enfants en savent ou plutôt en voient beaucoup sur le sexe ».

Aussi, il faudrait sensibiliser les élèves garçons, enseignants, membres du personnel administratif des établissements scolaires, personnes adultes de toutes les classes. Pour ce faire, Dr Yves Stéphane Ipou préconise l’approche bio-psycho-sociale (biologie-psychologie et social) pour freiner le fléau. « Cette approche permet d’appréhender le phénomène dans toutes ses dimensions, tant sur le plan collectif qu’individuel ». Aussi, appelle-t-il les institutions, la société civile, les médias partenaires et les acteurs du système éducatif a joué le rôle qui est le leur.

issouf.kamagate@lekiosque-deleco.com

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