Entre 1980 et 2000, le Kenya avait perdu près de 50 % de son couvert forestier. Environ 300 000 hectares de forêt ont été anéantis en raison d’une exploitation forestière intensive, de la production de charbon et de la conversion à grande échelle des zones boisées en plantations de thé.
Symbole de cette destruction, la forêt de Mau, plus grande surface forestière au Kenya avec 273 000 hectares et bassin hydrographique de sept lacs d’une étendue de plus de 69 000 km2, dont le quart du couvert végétal avait disparu, menaçant la survie de millions de gnous, de milliers de gazelles et buffles migrant à travers le Kenya et la Tanzanie, et celle des communautés riveraines.
Mais grâce à la mise en œuvre du Projet d’appui au développement des zones vertes, financé à hauteur de 38,8 millions de dollars par la Banque africaine de développement, plus de 14 000 hectares de forêts ont été reboisés entre 2007 et 2016 afin d’enrayer ce processus mortifère.
Des années de surexploitation des ressources forestières pratiquée sans aucun respect des écosystèmes avaient laissé à nu les collines autour de la maison de Joseph Kimani. Le déboisement avait même provoqué l’étranglement d’une rivière locale dans la vallée du Rift. Sur ces territoires défrichés menacés par la sécheresse et la famine, ce responsable de communauté âgé d’une cinquantaine d’années s’est retrouvé au pied du mur, comme tous ses voisins vivant à proximité de la forêt de Mau – en majorité des agriculteurs et des bûcherons.
« Nous avions détruit la forêt »
« Nous nous sommes demandé pourquoi cette sécheresse et cette famine se produisaient », se souvient Joseph Kimani. Qui n’a pas tardé à trouver la réponse : « C’est parce que nous avions détruit la forêt… ».
Installés aux alentours de ce vaste complexe forestier, Kimani et les siens abattaient les arbres qu’ils destinaient au bois de chauffe pour la cuisine et au charbon de bois pour la commercialisation.
Avec la déforestation massive, les inondations sont devenues plus fréquentes, tandis que les rivières se réduisaient à un filet d’eau pendant la saison sèche. Plus aucune activité agricole ne semblait possible. « C’était très difficile. Nous n’avions pas assez d’argent pour nous en sortir », témoigne également Ann Ruto, une fermière du village de Simotwet, dans la vallée du Rift.
Une situation critique, qui non seulement mettait en péril des milliers d’espèces animales et végétales et les populations autochtones, mais suscitait de nombreuses inquiétudes quant à l’avenir économique du Kenya, dans la mesure où des secteurs vitaux, notamment l’agriculture, le tourisme et l’énergie, dépendent de l’environnement naturel.
Agriculteurs, forestiers : se reconvertir pour ne plus dépendre de la forêt
En 2005, décidées à inverser la tendance, les autorités kenyanes sollicitent la Banque et obtiennent un prêt de 38,8 millions de dollars pour la mise en œuvre d’un Projet de développement de zones vertes. C’est la contribution la plus importante dans ce secteur de la part d’un partenaire financier. L’objectif était double : promouvoir la régénération et la conservation de la forêt pour protéger l’environnement ; et améliorer les moyens de subsistance en milieu rural et les revenus des communautés riveraines des espaces forestiers.
Deux ans plus tard, en 2007, le Service forestier du Kenya était créé, qui travaille en étroite collaboration avec les agriculteurs du pays. Première mission assignée aux deux parties : reconstruire le manteau végétal du pays couvrant une superficie de 7 000 km2 et situé à la lisière ou au cœur de 21 forêts classées.
Pour relever ce défi colossal, des formations dans les domaines de l’apiculture et la pisciculture, notamment, sont également dispensées aux agriculteurs et aux forestiers pour les aider à développer une activité tout autre, mettant ainsi un terme à leur dépendance économique envers la forêt.
En moins de dix ans, les résultats sont spectaculaires : travaillant main dans la main, agriculteurs et forestiers reboisent 14 300 hectares de forêts dégradées. Pour mieux sanctuariser le « poumon vert » du pays, des zones tampons sont créées, avec la plantation de 1 500 hectares de thé et de 5 700 hectares de bois dédié au chauffage, qui s’accompagne de l’amélioration de 342 km de routes rurales. Les retombées du projet sont également positives sur le plan économique, avec 3 000 emplois durables créés dans les communautés situées aux abords des forêts. Au total, ce sont 17 100 ménages, dont 40 % dirigés par une femme, qui ont vu leurs revenus s’accroître.
« Les yeux de la forêt »
« Ce projet a changé ma vie. Cela m’a rendue optimiste pour l’avenir », témoigne Ann Ruto, mère de quatre enfants, qui a pu envoyer ses enfants dans une école privée grâce à la hausse de ses revenus.
Anne Ruto a reçu une formation aux techniques agricoles modernes, grâce à laquelle elle a pu augmenter sa production de lait et se lancer dans la culture de légumes. Elle qui ne gagnait que dix dollars par mois il y a quelques années encore, a vu ses revenus multipliés par dix au cours des années 2016 et 2017. Aujourd’hui, à l’instar de nombreux autres villageois, Anne prend à cœur son nouveau rôle de gardienne de la forêt.
Joseph Kimani, lui, travaille toujours avec les fonctionnaires du Service forestier du Kenya pour prévenir l’exploitation forestière illégale. Après avoir vécu dans sa chair les dangers de la déforestation, il s’est mué en ardent défenseur de son nouveau cadre de vie et de l’une des plus belles réserves du pays : « Nous sommes les yeux de la forêt », lance-t-il, tout heureux d’exercer ce nouveau sacerdoce.
« La dépendance du Kenya à l’environnement naturel est profonde », note Onesmus Maina, chef du Projet d’appui au développement des zones vertes de la Banque africaine de développement. Et d’ajouter : « La protection du couvert forestier est donc capitale pour assurer la poursuite du développement social et économique du Kenya ».
Source : BAD